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Dictionnaire d'Henry Guédy (Polytechnique 1902) Article : l'Architecture

L'architecture exige le concours de l'industrie, de la science et de l'art.

L'un des premiers besoins de l'homme, aujourd'hui comme autrefois, étant de se construire un abri pour se mettre à couvert des intempéries, les branchages, la paille et la terre ont dû faire les premiers frais des constructions primitives et temporaires des tribus nomades de chasseurs, quand elles ne se réfugièrent point dans les grottes et les cavernes. Les peuplades de pasteurs se gardent encore du chaud et du froid sous des tentes de pelleteries soutenues par des pieux, tendues par des lanières ou des cordages et fixées par des piquets fichés en terre. Ce sont les ébauches d une industrie primitive.

Quoique les peuples laboureurs eux-mêmes aient pu s'en contenter longtemps, il paraît naturel de supposer qu'une plus grande stabilité dans leur genre de vie les porta à utiliser d'autres matériaux plus durables. Alors fut inaugurée la construction de bois, soit en plaine, soit en montagne, soit sur les lacs avec pilotis, ou sur mer près des rivages, ainsi qu'on le voit encore chez des peuplades océaniennes.

Les soldats de César, pendant la guerre des Gaules, se construisaient des huttes more gallico, d'après l'auteur des Commentaires, c'est-à-dire avec des branches entremêlées et consolidées dans des parois de paille et de terre glaise, le tout en forme de cônes arrondis et prenant jour par le sommet.

Une sécurité plus grande, suite naturelle du développement de la propriété des Peuples laboureurs amena d'autres progrès. Alors, on employa des matériaux plus résistants, ceux qu'on avait sous la main : la pierre, parfois même le marbre, dans les pays où les roches sont à fleur de sol, la brique séchée au soleil, ou durcie au feu dans les régions dénuées de carrières Comme l'Assyrie et la Babylonie.

L'amour naturel de la parure, la coquetterie qui l'inspire n'ont pas attendu une civilisation bien avancée pour se produire, si nous en jugeons par le penchant irrésistible qui porte les sauvages à 1a recherche des ornements. Nos ancêtres de l'âge de la pierre dont l'état offre bien des analogies avec les sauvages de nos jours, obéissaient aussi à un sentiment inné en recherchent certaines parures, colliers de coquilles, bracelets de bronze, maquillages de couleurs voyantes, etc., etc. L'attrait de ce qui brille et représente le beau sous sa forme primitive la plus grossière dut agir de bonne heure sur les hommes, et ils obéirent à une impulsion naturelle en décorant leurs demeures comme ils paraient leur corps.

Aux huttes rustiques et grossières succédèrent des maisonnettes de bois, de pierres, de briques, selon les régions, et quand on eut le nécessaire avec des loisirs assurés, avec le bien-être, on songea an superflu, en vertu d'un penchant esthétique qui marque le passage de l'industrie à l'art.

Mais l'art lui-même n'est-il pas assujetti à des conditions ou à des lois mathématiques, ainsi que le démontre l'analyse de toute oeuvre architectonique ? Que deviendrait, par exemple, un édifice dans lequel la résistance des supports ne serait pas calculée d'une façon instinctive ou raisonnée, et proportionnée à l'effort des matériaux dont ils doivent soutenir le poids et les poussées ?

Ces considérations nous amènent donc à reconnaître qu'il y a dans l'architecture, une industrie, un art et une science. Mais l'art étant le premier né de l'industrie, et ne pouvant pas se passer de la science, on trouvera plus simple de définir l'architecture par celui des trois éléments qui implique les deux autres, et de dire : l'architecture est l'art de la construction.

Construction, cet humble vocable, pour qui sait en analyser le sens, éveille l'idée d'éléments complexes, ainsi le démontre l'article qui lui est consacré dans ce dictionnaire. Il comprend, en effet, la conception de la solidité résultant de l'équilibre, de la proportion entre l'effort et la résistance, l'harmonie entre les parties principales et les parties secondaires, les matériaux et les moyens de mise en oeuvre.

L'architecture à peine née doit donc résoudre un problème scientifique, si élémentaire soit-il.

Ces conditions nécessaires, mathématiques, géométriques, mécaniques, déterminent la nature et l'essence de l'art architectonique, et font de l'architecture l'art par excellence, c'est-à-dire le plus rationnel, le plus logique ; et cela est si vrai que les artistes qui ont oublié ces principes, ont condamné leur art à une dégénérescence rapide dont le seul remède est le retour à son essence primordiale.

Ce caractère logique ressort clairement de cette simple considération que la façade d'une construction architectonique doit être la déduction rigoureuse des prémisses posées par les grandes divisions ou les grandes lignes du plan général.

En d'autres termes, tout doit être approprié à la destination de l'édifice, et en harmonie avec son caractère. Les autres arts, qu'on peut appeler ici les arts mineurs, loin de rien imposer à l'architecture, doivent subir ses lois, s'y coordonner et s'y subordonner en lui apportant l'humble concours de leurs éléments décoratifs dont le rôle est toujours secondaire, sous peine d'une inévitable décadence.

L'architecture est monarchique ; elle est la reine des autres arts.

On peut démontrer aussi qu'elle en est la mère.

Comme la terre est la matrice commune d'où sortirent tous les êtres, y compris l'homme lui-même : factus e limo terrae, selon la parole de l'Ecriture, le temple, image de la masse solide du globe sera, lui aussi, la matière inorganique d'où naîtront tous les organismes de l'art : sculpture, gravure, peinture. L'édifice nu à l'origine, offre une oeuvre d'une beauté purement idéale, mais incomplète, tant qu'il est réduit à la simplicité sévère des lignes et des moulures géométriques. Mais, bientôt sur les surfaces planes s'épanouiront des frondaisons, des guirlandes, les ornements variés, des entablements et des frises ; là s'alignent des représentations d'animaux groupés autour de l'homme dans des processions on des sacrifices. C'est la sculpture qui les tire de la masse commune. Enfin, l'image de l'homme s'en détache. La statuaire pourtant doit être Contemporaine de l'architecture ; car elle n'a préparé le temple que pour abriter l'image du Dieu dont il est la maison.

La peinture servit d'abord d'ornement au temple qu'elle recouvrit d'un voile polychrome. Le dessin, né du bas relief fut l'élément précis, limitatif des figures peintes, joua le même rôle dans le langage des arts plastiques que les consonnes dans le langage articulé dont les voyelles sont l'élément imprécis et vague de la couleur. L'architecture et la statuaire représentent ce qui est : la peinture, ce qui parait : aussi a-t-elle des moyens d'expression en rapport avec toutes les puissances de la fantaisie. Les mouvements rythmiques de la danse et de la musique en faveur chez les peuples les plus sauvages, semblent à première vue démentir notre théorie ; car les danses religieuses ou guerrières accompagnées de chants poétiques, sont bien une statuaire vivante et la mouvante synthèse de la sculpture, de la musique et de la poésie. Qu'on y prenne garde, cependant, les danses durent être à l'origine des jeux empreints d'un caractère sacré, puisque même au théâtre, où elles furent transportées après les processions liturgiques et mystiques, elles conservèrent le caractère d'un symbole de cosmogonie religieuse, puisque la strophe et l'antistrophe, double mouvement du choeur antique, représentaient la course annuelle de Phoibos.

En rappelant les chefs-d'oeuvre dont les temples grecs étaient remplis : le Jupiter d'Olympie, qui augmenta la religion des peuples, dit Pausanias ; la Minerve Chryséléphantine ; les grands vases de bronze, les trépieds, les pierres fines, etc., etc., à peine avons-nous besoin de dire que l'art du statuaire, du fondeur, du ciseleur, du céramiste, la toreutique, la glyptique durent être emportés dans un élan que seul l'esprit religieux et les richesses immenses mises à sa disposition pouvaient leur communiquer. Les mêmes remarques s'appliquent à la civilisation qui se préparait et cherchait sa forme artistique à l'abri du temple chrétien, pendant la longue période d'incubation du moyen-âge.

A toutes les époques de l'histoire l'art annonce le lever de la science ; il en est l'aurore brillante. De même que la nature, par une science immanente produit des êtres organiques dont les formes les plus belles sont les mieux appropriées à leur destination, de même l'art par excellence, l'architecture crée des corps et des membres dont les proportions sont harmoniques dans leur ensemble et d'accord avec leur fin particulière. Quoi de plus laid qu'une aile qui n'est pas faite pour voler ? Quoi de plus irrationnel et absurde qu'un édifice sans utilité pratique, sans une fonction individuelle et sociale ?

L'art architectonique réalise donc l'union des lois de l'ordre physique et de l'ordre intellectuel et esthétique. Il manifeste les sentiments et les idées de l'humanité impressionnée par l'oeuvre immense de l'Eternel Géomètre de Platon. Aussi le temple, hommage rendu au grand artiste Démiurge (organisateur du monde), concilie-t-il l'industrie, répondant au besoin, la science qui réalise et systématise des idées plus ou moins claires, et l'art qui l'illumine d'un rayon du beau. Nous voyons dans le temple une image finie du modèle infini de la création. C'est en somme la forme plastique de l'évolution de l'idée et des sentiments inspirés à l'homme par les diverses religions.

Là apparaissent d'abord deux lois physiques primordiales. Tout part du sanctuaire et, de ce foyer, rayonne dans l'espace. Ensuite, par un mouvement en sens contraire, toutes les parties du temple gravitent vers le sanctuaire, revenant à la pensée d'où elles émanent, réalisant ainsi le symbole de l'union du fini et de l'infini, but suprême de la religion, de la variété dans l'unité, dernier terme de l'art.

Il s'ensuit que la diversité des conceptions humaines de Dieu, de son oeuvre et des lois qui y président, doit modeler les formes du temple dans un corps et des membres, dont le symbolisme exprime les conceptions religieuses et philosophiques des peuples.

L'histoire de la terre est écrite dans les couches géologiques, gigantesques feuillets du grand livre des Annales de notre planète, et ces annales se composent de chapitres marqués par des périodes séculaires et millénaires même.

L'histoire de l'humanité se dessine à la surface du sol en caractères architectoniques constituant non seulement un alphabet mais encore un langage qui pour varier dans chaque pays n'en est pas moins sincère, car les monuments sont les témoins intègres et incorruptibles de chaque civilisation. Il y a là, pour qui sait lire, une sorte de grandiose graphologie dont la physionomie laisse transparaître, à travers ses lumineuses profondeurs, la physionomie religieuse intellectuelle et morale des peuples, et dont l'interprétation nous révèle le secret des sentiments et de pensées des générations disparues.

La déposition des témoins fossiles des révolutions géologiques exhumés par la paléontologie, et celle des témoins interrogés par l'archéologie monumentale, nous permettent de faire revivre dans la science et même de faire parler des êtres anéantis pour jamais. Quand même ils se taisent leur mutisme a l'éloquence la plus haute, celle de la vérité même, puisque aucun doute ne pourrait s'élever sur la sincérité de leur témoignage. Ils n'ont jamais trompé personne, ce sont les hommes qui se trompent eux-mêmes en dirigeant dans le sens de leurs préjugés et de leurs passions leurs interprétations superficielles et vaines.

Mais sont-ils bien muets vraiment ! et ceux qui savent écouter les feuillets des couches stratifiées et les reliefs des annales architectoniques des nations n'entendent-ils pas les ondulations sonores d'un graphophone énorme qui fait vibrer et clament à notre oreille les grandes épopées de l'évolution de la Nature, de l'humanité et des sociétés humaines? C'est la justification de la parole biblique : lapides clamabunt.

Cuvier, reconstituant avec des fragments le plan de la création, sentait, dit-il, un frisson religieux, et croyait par instants voir passer l'ombre du créateur. De même dans les débris des monuments de la Grèce l'archéologue peut entendre et écouter la répercussion du lointain écho des vibrations rythmiques de la pensée des Hellènes, et non seulement voir passer l'ombre de l'humanité disparue ; mais se donner le spectacle de toutes les civilisations depuis les races primitives jusqu'aux peuples modernes.

Si nous n'accordons qu'une simple mention à l'architecture des Chinois, c'est que des historiens de ce pays sont en désaccord sur la chronologie antérieure à l'an 1100 avant l'ère chrétienne. D'ailleurs, l'adoption de la construction en bois n'a pas permis aux archéologues d'étudier des monuments bien antiques. Il n'y a de vraiment antiques que quelques temples et des tombeaux creusés dans les rochers des montagnes, l'empereur Tsin-Chi-Houang-Ti ayant détruit tous les édifices qui pouvaient attester la puissance de ses prédécesseurs. Il résulte d'une étude attentive que l'architecture chinoise ne doit rien aux civilisations étrangères, mais qu'elle ne leur a rien transmis.

L'examen des caractères architectoniques des édifices sacrés, vérifie et confirme cette théorie. Le temple indien porte l'empreinte d'une idée et d'un sentiment panthéistique ; aussi ce sont des ébauches énormes dans lesquelles la vie est à peine individualisée.

L'architecture de 1'lnde, selon Batissier et Hope, serait la plus ancienne de toutes. On sait que le système de construction en bois fut conservé jusqu'au IVè siècle après Jésus Christ. La relation du bouddhiste chinois Fa-Hian qui visita l'Inde, nous apprend que 1'un des temples les plus célèbres, celui de Tehi-Huan, détruit par un incendie, avait sept étages. L'idole même, dit-il était en bois de santal. Sont-ce là des raisons suffisantes pour adopter l'opinion de Lesueur, et voir dans les pagodes de pierre, l'imitation des temples de bois reproduisant eux-mêmes les chars de triomphe des fêtes religieuses, et peut-on alléguer, comme preuve péremptoire, le modèle réduit du char de Visnou, parce que le soubassement du monument de pierre est construit comme s'il devait recevoir des roues ? Il semble qu'il y ait là une conclusion un peu téméraire.

En tout cas, on attribue trop souvent aux monuments de l'Inde une antiquité imaginaire en se fondant sur de trompeuses ressemblances. En effet, le Tchoultry de Trimal Naïk construit en granit, à la manière égyptienne, avec cent-vingt piliers d'un seul bloc supportant un plafond de pierres qui vont d'un pilier à l'autre, date du temps de Louis XIII (1623).

Que penser de l'antiquité du temple d'Ellora ? lorsqu'on sait que le voyageur Fa-Hian visitant 1'Inde au IVè siècle pendant seize ans, ne mentionne aucun édifice taillé dans le roc ?

Son compatriote Hiouang-Tsang qui voyagea dans les mêmes régions trois siècles plus tard, ne cite parmi les édifices religieux, ni Ellora, ni Eléphanta, ni Kennerys, ni Carli ; et Langlès ne les croit pas antérieurs au VIIè siècle. Enfin, l'examen des piliers supportant les plafonds ne révèle qu'une imitation d'un vase grec posé sur un piédestal cannelé.

On en pourrait conclure que les tombeaux de Thèbes et les temples d'Ipsamboul ne furent point édifiés sur le modèle des grottes indiennes. Leur seule ressemblance est d'avoir été creusés dans les rochers.

Symbole d'une pensée toute différente, le temple égyptien exprime la conception de la vanité du cours des choses passagères qui vont se perdre comme un fleuve dans l'océan infini de l'au delà insondable et immuable. C'est un tombeau où finit la vie présente et où commence le mystère d'une vie nouvelle.

On a voulu rattacher les Téocalis mexicains aux oeuvres architectoniques de l'Egypte. La seule excuse, si s'en est une, de cette erreur étrange, provient de l'analogie superficielle de leurs formes pyramidales. La langue, le système graphique et numéral des deux peuples font repousser cette conclusion. Enfin, les annales les plus anciennes du Mexique ne remontent pas au delà de l'ère chrétienne, et l'histoire de ce pays ne commence qu'en l'année 472 de notre ère.

En Grèce, l'humanité consciente d'elle-même se distingue du Dieu Nature de l'Inde. A l'idée fixe de mort qui domine l'Egypte succèdent le sentiment et l'idée de la vie. Les hommes se représentent à leur image des énergies de la nature, et créent la religion du polythéisme anthropomorphique.

Le temple grec destiné au séjour des Dieux dont chacun est un type idéal de l'homme ressemblait plus que les autres temples à des maisons humaines agrandies et reproduisant les proportions harmonieuses de l'homme. N'y cherchez pas l'expression de 1'idée d'infini ou de l'immensité de l'univers. Sa formule est celle de la vie humaine donnée par Platon, elle tient en deux mots euharmonie et eurythmie.

La forme générale des édifices religieux de l'Orient et de la Grèce est la plate-bande horizontale reposant sur les supports verticaux des colonnes.

En Italie, des nécessités architectoniques imposées par la nature, et en harmonie avec des pensées et des sentiments nouveaux, créent des formes nouvelles dont l'élément essentiel est la voûte en plein cintre. Quand les auteurs de cet art indigène de l'Etrurie entrevirent les merveilles artistiques de la Grèce, ils furent séduis par leur beauté, au point de leur emprunter sans discernement la colonne, sous l'impulsion du désir irréfléchi de dérober, en se les appropriant des ornements dont ils enviaient la richesse et la beauté, sans remarquer leurs infractions aux règles de la logique et du goût. Ils ne s'aperçurent pas que dans leur architectonique nationale, la colonne manque à sa destination puisqu'elle est un support reposant sur des bases massives et ne supportant que des parties secondaires.

La religion et la philosophie romaine vivant d'emprunts, ce peuple né pour l'action et la domination, s'empara des spéculations et de l'art de la Grèce comme des parvenus s'emparent des choses de luxe pour donner de l'éclat à leur puissance, et satisfaire aux jouissances de leur orgueil, quitte à en faire un usage proscrit par le goût. La religion romaine fut absorbée, dans le culte de la Ville éternelle et une aspiration à la conquête du monde.

Tu regere imperio populos, Romanae, memento.

Avides de domination universelle, les Romains requièrent la complicité des Dieux, et finissent par les réunir tous sous le Dôme du Panthéon d'Agrippa qui consacre désormais les lignes courbes et la voûte, substituées aux lignes droites et à l'entablement du temple grec.

La basilique chrétienne, lorsque les fidèles, sortis des catacombes purent célébrer leur culte au grand jour, n'exprima pas tout de suite, tant s'en faut, la conception nouvelle de Dieu et de la Nature. On appropria au culte les basiliques dont le modèle primitif fut celle de Lateranus (sénateur contemporain de Néron), devenue depuis l'église de Saint-Jean-de-Latran. La transition des cultes anciens au culte nouveau, fut ménagée par la prudence des pontifes et des évêques. On n'a pas assez remarqué la correspondance habilement préparée des vocables des saints sous le patronage desquels les églises chrétiennes furent consacrées. Ainsi le temple de Romulus et de Rémus devint l'église de Saint-Gervais et de Saint-Protais, deux frères. Sur l'emplacement du temple de Vesta s'éleva l'église de la Madona del Sol, et le Panthéon d'Agrippa devint l'église de tous les saints. Nous pourrions multiplier ces exemples et en citer d'analogues empruntés aux provinces romaines, c'est ainsi qu'au pays des Santons, le portail de la chapelle romane du château de Pons repose sur des colonnes dont les deux premières sont purement romaines avec des inscriptions de même origine, et paraissent empruntées à quelque temple païen. On connaît les monuments de la religion gallo-romaine mis à jour par les fouilles pratiquées près de Notre-Dame de Paris. Enfin, l'ancienne basilique du Puy-en-Velay fut construite sur les fondations d'un ancien temple païen avec beaucoup de matériaux qui en proviennent.

L'art néo-grec,à partir de Constantin, donne naissance à l'architecture romano-byzantine d'un caractère grave et simple comme le Christianisme primitif qui l'inspira. Là, se fait jour une pensée mystique et un ensemble de sentiments que n'exprima jamais l'art classique des Grecs. Les éléments essentiels sont alors : le cintre romain allié à la colonne grecque dont les belles proportions cessent d'être observées.

A mesure que l'église développa la conception chrétienne, les architectes religieux trouvèrent une forme en harmonie avec cette conception. De là, l'arc en tiers-point, l'arc augif (selon le texte des vieilles chartes), l'ogive montante, qui subit une évolution dans trois périodes consécutives. On a dit avec raison que la cathédrale, si elle présente une combinaison des styles architectoniques antérieurs, n'en est ni la reproduction ni l'imitation. La lointaine ressemblance peut dériver d'idées analogues, mais rattachées à une conception générale toute différente. Ainsi, les cryptes sont des temples souterrains, comme ceux de l'Inde et de l'Égypte, mais dont la construction est inspirée par un tout autre ordre de sentiments et d'idées : le souvenir du culte secret des catacombes où s'ensevelissait la communauté des fidèles persécutés. Dans la cathédrale figurent la voûte romaine et la colonne, mais combien modifiées ! L'arc s'élève en ogive montante, et les colonnes graciles se groupent dans les faisceaux des piliers.

Ceux qui déplorent la disparition de la beauté classique pourraient s'en consoler. Sans doute les éléments n'ont pas la proportion mesurée, harmonieuse ; la symétrie a été rompue déjà par l'art roman ; mais si chaque type est moins près de la perfection, quelle profondeur de sentiment ressort de l'ensemble grandiose !...

Pendant la Renaissance, l'hymen de l'esprit chrétien et de l'esprit païen eut pour effet et pour cause un affaiblissement de la foi : les hommes sont plus attachés à la vie terrestre et à ses joies. L'édifice n'exprime plus l'ascension des désirs mystiques vers l'infini. Alors s'infléchissent les voûtes du dôme revenant vers la terre. Saint-Pierre de Rome devient le symbole d'une autre grandeur et d'une autre puissance, dit Lamennais, de la puissance et de la grandeur de la papauté qui s'élève près des palais superbes d'où elle commande au monde.

Si nous passons à l'Architecture civile, nous la voyons chez tous les peuples rattachée à l'architecture religieuse par un lien essentiel ; car le temple est la maison agrandie. L'Inde a conservé un trop petit nombre de monuments antiques pour y chercher des exemples à l'appui de notre théorie ; mais, en Perse, en Assyrie, en Babylonie et en Egypte, les débris des demeures royales se confondent avec les ruines des temples.

En Grèce, une parenté manifeste rattache les édifices civils aux édifices religieux ; les Propylées et le Parthénon profitent sur le ciel leurs lignes empreintes de la même grâce harmonieuse.

Le génie plus pratique des Romains créa des monuments originaux toutes les fois que l'adaptation des travaux à l'utilité publique, donna le pas à la solidité et à la durée sur l'élégance et la richesse plus ou moins bien comprises. Nous retrouvons donc la voûte cintrée dans les portes, les arches des ponts, les aqueducs, les thermes, les cirques, les théâtres et les ares de triomphe. Si nous ne disons rien de l'arc des Arabes, c'est que l'islam déiste et fataliste ne rattache Dieu à son oeuvre que par la chaîne infrangible de ses immuables décrets. La représentation de la divinité, et la reproduction de la figure humaine étant sévèrement proscrite, que reste-t-il à l'Arabe ? le pays des rêves où se joue son esprit subtil, avec les créations brillantes d'une inépuisable fantaisie. De là des palais enchanteurs où chaque prince goûte par anticipation les joies du paradis promises aux croyants.

Les palais, les maisons et les villas, dans les provinces romaines, furent construits, comme les villes elles-mêmes, sur le modèle de Rome et des édifices de l'Italie. Pendant les invasions des peuples du Nord, et les époques troublées d'où sortit le régime féodal, aux villas succédèrent les camps retranchés, les châteaux forts autour desquels se groupèrent les faibles incapables de se défendre. Fatigués de lutter contre les désordres et les violences, de nombreux croyants cherchèrent un refuge dans la paix des contemplations mystiques offertes par les couvents, où chaque moine était pauvre tandis que l'ordre s'enrichissait toujours. Edifice à la fois religieux et ciivil, le monastère groupa les cellules autour des cloîtres dont quelques-uns sont des merveilles d'architecture. On peut en suivre l'évolution à travers les périodes romane et gothique, jusqu'à ce que les tendances de la Renaissance accentuent le caractère positif de l'institution monastique.

L'aspect d'un château féodal en indique très clairement la destination. Regardez les donjons de Coucy, de Tiffauges, Pons et autres lieux, leur physionomie vous dit en termes aussi précis qu'une inscription : Ego nominor Leo. C'est en effet la part du lion que se firent les seigneurs, oppresseurs des faibles après en avoir été les protecteurs.

Dans ces temps d'anarchie féodale, où chacun en appelait à la force, les églises elles-mêmes fortifiées, et les évêques, les abbés, et les abbesses eurent leurs hommes d'armes.

En Italie, les villes livrées à l'ambition des princes on des familles rivales offrent l'aspect d'un assemblage de tours et de forteresses. Quand un prince est maître absolu, comme le duc de Ferrare, il habite un palais protégé par des fossés et des ponts-levis.

La révolution qui couva et amena lentement l'affranchissement des communes, se fait sentir en architecture par l'érection d'un genre spécial de monuments : les maisons de ville ou Hôtels de ville. Là le peuple se bâtit son palais, où siégèrent des magistrats élus, tandis que les citoyens discutaient les intérêts de la commune. Le caractère de ces édifices aux lignes simples et sévères, dominés par le beffroi dont la voix convoque le peuple, l'appelle à se défendre, ou 1'invite aux fêtes publiques, est bien d'accord avec l'état social qui le fit construire, l'adapta à ses besoins, à ses aspirations. D'un autre côté, l'esprit de la Renaissance apparaît dans les châteaux et les fastueux palais où la recherche des jouissances de la vie seigneuriale sacrifie l'ordonnance générale au désir de flatter les yeux par le luxe d'une ornementation exubérante et d'un goût qui se croit classique par un retour maladroit à l'art gréco-romain alourdi et maniéré.

Sans vouloir nier le mérite d'édifices tels que Chambord et Fontainebleau, nous estimons qu'on accorde aux oeuvres de ce genre des éloges fort exagérés. Nous ne saurions trop protester contre les manuels et les thèses qui mettent en circulation d'iniques réquisitoires contre l'art français, prétendent que cet art aurait été régénéré par les Italiens de la Renaissance, et surtout par le Primatice. C'est là une erreur funeste. L'art français très puissant et très sincère, ne pouvait que s'altérer, compromettre et perdre ses qualités natives sous une tutelle qui le ravala au rang d'un art de décorateur, et lui inculqua l'idée fixe de chercher, avant tout, des prétextes à l'ornementation aussi irrationnelle que pompeuse.

Nous pourrions en dire autant de la sculpture et de la peinture, en déplorant la malheureuse inspiration de François Ier qui donna plein pouvoir au Primatice, et au lieu de consulter Léonard de Vinci lui accorda de vains honneurs.

Quand une grande monarchie se fut fermement assise, tout s'effaça devant le souverain. L'homme qui disait : «l'état c'est moi» pouvait se construire une demeure proportionnée à ses instincts despotiques. De là la grandeur imposante, mais non exempte d'emphase du palais de Versailles qu'aucune monarchie n'a pu utiliser depuis la Révolution autrement que par une transformation en musée national.

Si nous ne nous faisons illusion, la formule donnée au début de cet article parait s'être vérifiée. L'art donne une forme extérieure aux sentiments et aux idées, expriment le dogme religieux et le principe social des différentes périodes de l'histoire de l'humanité. L'architecture nous présente donc les caractères graphologiques des idées et des croyances dont l'art est le reflet et le symbole. Que ces idées et des croyances viennent à s'affaiblir, l'art subit la même éclipse, dégénère, n'offre plus que des formes vides, inanimées, et copie sans les comprendre les styles du passé, en attendant que des croyances nouvelles nées d'une foi religieuse ou sociale crée enfin, et vivifie un art nouveau.